Le Professeur Georges Hübner, co-fondateur de Gambit, la maison mère de Birdee, a proposé il y a quelques jours la mise en place d’un fonds de participation de l’Etat destiné à soutenir la solvabilité des Petites et Moyennes Entreprises, lourdement touchées par les effets économiques de la crise sanitaire. Ce fonds serait financé en mobilisant les surplus d’épargne logés par les particuliers dans divers comptes auprès des banques.
Même si Birdee n’est pas directement partie prenante à cette initiative, y faire écho et nourrir le débat nous semble dans la droite ligne des deux piliers de notre mission : My money my rules , et, faire de l’argent un meilleur support pour l’avenir.
Geoffroy de Schrevel, notre CEO, s’est entretenu avec Prof. Hübner.
Pourquoi s’intéresser particulièrement au sort des PME plutôt qu’à celui des grosses entreprises qui offrent chacune plus d’emploi et de perspectives de reprise?
Les grandes entreprises ont les moyens et les relais pour demander et obtenir elles-mêmes des soutiens en capital ; ce qu’elles ont d’ailleurs déjà fait dans la plupart des pays touchés. Elles sont la priorité des pouvoirs publics car leur défaillance pourrait porter directement préjudice à l’économie de leur pays et de l’Union Européenne. Par contre, le tissu des PMEs ne dispose pas d’un relais aussi efficace ni d’une priorisation par les autorités politiques ou économiques.
Prise individuellement, aucune n’est véritablement « systémique » mais ensemble, elles forment le poumon de nos économies, et elles ne sont par ailleurs en rien responsables de ce qui leur arrive. À l’instar de ce que le système de santé fait pour nos personnes physiques, il faut donc pouvoir offrir un soutien massif, utile et solidaire à ces personnes morales.
Sauver les PMEs qui peuvent l’être aujourd’hui, c’est faire en sorte que notre bien-être collectif soit préservé, que nous puissions encore acheter du pain, faire du sport, entretenir nos rues, bénéficier de services de proximité… bref, c’est un acte collectif que les citoyens peuvent et doivent prendre en charge.
Un simple don de l’Etat aux PMEs pour supporter leur trésorerie ne suffirait-il pas ?
Il faut être de bon compte, les gouvernements et les banques ont pris des mesures importantes pour soutenir la trésorerie d’un très grand nombre de sociétés, dont les PMEs, et des personnes fragilisées.. Maintenant il faut s’occuper de leur solvabilité, c’est-à-dire, de leur capacité à soutenir à la fois leurs projets d’investissements et le remboursement de leurs dettes sur le long terme.
Bien sûr, on pourrait éponger leurs dettes et leur donner des indemnités, à l’instar de ce que l’on fait pour les personnes les plus fragiles. Mais cela aurait un coût énorme, supporté par l’Etat – et donc les citoyens dans leur ensemble – via l’endettement, alors que le bénéfice en reviendrait principalement aux actionnaires.
Plutôt que mutualiser les pertes et privatiser les profits, il est préférable d’aider les entreprises de manière responsable, et d’exiger une rémunération adéquate pour le service qui leur serait fourni. Tout l’enjeu est de trouver un juste milieu, entre d’une part un « don » sans contrepartie financé par la collectivité, et d’autre part l’exploitation de la détresse de ces entreprises comme le ferait un « fonds vautour ».
De quelle manière cela fonctionnerait-il pour les PMEs ? Elles seraient nationalisées ?
Il ne faudrait pas exploiter la situation pour « rincer » les actionnaires des PMEs en difficulté passagère. Ce serait injuste, mais aussi contre-productif. Nationaliser de facto un grand nombre d’entreprises en faisant de l’Etat un actionnaire majeur serait un acte démotivant pour ces milliers d’entrepreneurs qui ont patiemment construit une activité rentable et utile à la société.
Il faut donc trouver un véhicule adapté. Je prévois un mécanisme un peu sophistiqué, mais compréhensible par les entreprises et acceptable par les parties prenantes. Je préconise les actions de préférence : ce sont des fonds propres, mais sans droit de vote ni partage des bénéfices accumulés par l’entreprise. Les dividendes de ces actions sont plafonnés, mais prioritaires par rapport aux dividendes ordinaires. Comme ce ne sont pas des dettes, elles ne peuvent pas déclencher la faillite, mais elles responsabilisent tout de même les sociétés car elles doivent d’abord rémunérer ces actions avant les actionnaires ordinaires.
Ce système est étudié en Belgique et en France. Il se met déjà en place au Royaume-Uni et pourrait d’ailleurs être généralisé dans toutes les économies impactées par la crise sanitaire.
Quel est l’intérêt, financier ET social, pour les épargnants ?
Chaque épargnant qui laisse dormir une somme importante sur son compte perd de l’argent et en fait perdre à la société, car cet argent est improductif. La rémunération de ces comptes est inférieure à l’inflation : l’épargne fait donc perdre du pouvoir d’achat. De l’autre côté, même les banques n’en veulent plus parce qu’elle leur coûte cher (elles placent elles-mêmes à des taux négatifs) et qu’il y a trop d’épargne par rapport à la demande de crédit.
Bien sûr, il faut conserver une épargne de précaution, mais dans bon nombre de cas les montants qui restent durablement sur ces comptes sont manifestement trop importants pour n’être que de la précaution.
Beaucoup de gens n’en font rien parce qu’ils ont peur de mettre leur capital en risque, et il faut les aider à bien allouer leurs ressources; beaucoup d’autres n’y touchent pas parce qu’ils ne trouvent pas de sens aux investissements qu’on leur propose. Birdee s’efforce de répondre à ces deux éléments, mais ma proposition va un cran plus loin.
En effet, je suis convaincu que la perspective d’aider la société, dans son ensemble, à travers le renforcement de son tissu d’entreprises de proximité, face à une crise qui frappe aveuglément, est un projet mobilisateur, enthousiasmant, plein de sens.
Il faut bien se rendre compte que nous ne sommes pas tous égaux face à la crise du Covid-19. À côté de tous ceux qui voient leurs revenus ou ressources diminuer, d’autres ne sont pas impactés par ces pertes, et au contraire s’aperçoivent que leurs coûts diminuent et leur épargne augmente. Ils n’y peuvent rien, ils n’ont rien demandé, mais on peut imaginer que cela crée un sentiment d’inconfort, voire de frustration : ces personnes voudraient être solidaires, mais ne voient pas concrètement comment faire. Investir leur épargne dans un fonds – d’une manière ou d’une autre, les modalités sont à définir – qui aiderait les entreprises sans les presser comme des citrons, de manière responsable et proportionnée, voilà un projet inspirant. Si on me le proposait, j’y souscrirais sans le moindre doute. J’espère sincèrement qu’on me le proposera…
Finalement, si nous croyons en notre économie, nous devons avoir confiance dans sa capacité à se redresser. Dès lors, le mécanisme d’aide aux PMEs devrait raisonnablement engendrer un surplus, à tout le moins à moyen terme. On peut donc, cerise sur le gâteau, anticiper que le mécanisme d’aide aux entreprises générera des returns positifs.
Ma proposition vise à mettre sur pied un véhicule d’investissement à capital garanti, qui distribuerait des rendements positifs aux investisseurs. En d’autres termes, d’un point de vue financier, il me paraît parfaitement possible d’offrir aux particuliers un placement financier qui fait au moins aussi bien que le compte d’épargne : garantir la restitution du capital, et offrir des rendements qui ne sont au minimum pas négatifs.
Il y a donc un intérêt moral, social et financier à créer l’instrument que je propose. Encore faut-il que notre personnel politique accepte de jouer ce jeu-là. À ce jour, cela me paraît le principal danger du mécanisme : qu’il ne soit pas mis en œuvre par manque de volonté politique ou querelles de chapelle. Quel gâchis cela serait !
De quelle somme parlez-vous ? Quelle proportion de l’épargne des particuliers faudrait-il mobiliser pour que l’opération soit efficace ?
Il y a environ 280 milliards d’Euros qui dorment sur les comptes d’épargne des Belges. Les grands investisseurs institutionnels eux-mêmes pleurent pour trouver des investissements à faible risque et à rentabilité positive, ou même nulle – eux qui doivent placer à des taux négatifs. On parlerait d’un fonds qui investirait une somme de 10 milliards d’Euros. Même pas 4% de l’épargne des Belges. L’emprunt ‘Leterme’, en 2011, en avait levé de l’ordre de 5 milliards. Aujourd’hui, pour un projet plein de sens et véritablement solidaire, on peut multiplier ce montant. Chiche…